TA Paris 6 juillet 2022 n° 1919756 RJF 11/22 n°976

Des conclusions lues à l’audience par le Rapporteur public du Tribunal administratif de Paris reproduites et publiées dans la Revue de Jurisprudence Fiscale (11/22 n°976) ont mis avantageusement en exergue notre travail constant pour tenter non seulement de « sauver » les contribuables ayant fait l’objet d’un redressement fiscal, paraissant toujours injuste à leurs yeux surtout lorsqu’il s’agit de la reprise de réduction d’impôt sur le revenu pour investissements outre-mer, mais aussi de contribuer, en fonction des dossiers qui nous sont soumis, à faire évoluer positivement les droits des contribuables, préoccupation constante de notre cabinet.

Quelques dossiers permettent parfois d’élever le débat (à condition d’avoir pris en main la procédure dès la réception de la proposition de rectification et donc d’avoir effectué un travail préparatoire dès la procédure dite « contradictoire » (art. L. 55 et s. du LPF)).

C’était le cas du dossier de notre cliente Mme E. G., qui nous a permis de saisir le Tribunal administratif de Paris et de lui faire dire quelques précisions utiles sur les conséquences de la reprise par l’administration d’une procédure après qu’elle ait procédé à un dégrèvement.

Notre cliente, Mme E. G., avait fait l’objet d’une reprise d’investissement outre-mer (art. 199 undecies B du CGI) au titre de l’année 2012 dont la réduction excédentaire avait été opportunément et régulièrement reportée sur les années 2013 et 2014. Le fond du dossier était définitivement perdu en raison de la jurisprudence du Conseil d’Etat datée du 26/04/2017 précisant notamment la date du fait générateur à prendre en compte de la réduction d’impôt pour investissement outre-mer. Restait à exploiter la maigre opportunité laissée par une procédure d’imposition posant question ; à savoir si l’administration avait effectivement averti la contribuable de son intention de l’imposer après avoir « régularisé », c’est-à-dire « purgé » le vice entachant manifestement la procédure d’imposition initiale, conformément à l’arrêt fondateur « Pigeon » du 08/04/1991 du Conseil d’Etat.

Monsieur Xavier Pottier, Rapporteur public de la 3e chambre de la 1ère section du Tribunal administratif de Paris, juridiction de jugement habituellement chargée de trancher les litiges relatifs au contentieux fiscal, notamment celui traitant des investissements outre-mer, s’est exprimé en ces termes à l’audience du 22 juin 2022 dont nous nous permettons de reproduire ici un extrait, après publication dans la Revue de Jurisprudence Fiscale 11/22 au n°976 :

« Cette affaire confirme que le conseil de la requérante se distingue par sa capacité à rompre, plus d’une fois, la morne et triste monotonie qui caractérise à bien des égards le contentieux des investissements outre-mer, par des moyens qui vous amènent à donner d’utiles et inédites précisions sur la jurisprudence du Conseil d’État, dont la portée dépasse de loin les enjeux de ce contentieux spécifique.

Vous vous souvenez ainsi sans doute que, par un jugement rendu le 13 août dernier conformément à nos conclusions (TA Paris 13-8-2021 no 1903623 : RJF 12/21 no 1122, concl. X. Pottier @ (C 1122)), vous avez jugé, sur une requête présentée pour un autre requérant mais par le même conseil, que le droit pour le contribuable de demander la copie des documents que l’administration a obtenus en exerçant son droit de communication auprès de tiers, à l’occasion d’une procédure de contrôle et dont sont issus des éléments qu’elle a effectivement utilisés pour fonder les rectifications d’impôt envisagées, ne peut être mis en œuvre qu’avant la mise en recouvrement des impositions, laquelle correspond, s’agissant de l’émission d’un rôle, – là est la précision inédite – à la « date de la décision d’homologation du rôle » (selon les termes ajustés par TA Paris 10-11-2021 no 1912984/1-3).

Un peu plus lointainement, vous vous êtes aussi prononcés sur un moyen similaire au plus sérieux des moyens de la présente requête, toujours présenté par le même conseil : à savoir le moyen tiré de ce qu’après avoir prononcé le dégrèvement de l’imposition, l’administration n’aurait pas préalablement informé le contribuable de la persistance de son intention de l’imposer avant d’établir, sur les mêmes bases, une nouvelle imposition (TA Paris 8-7-2020, no 1912260/1-3). »

Nous ne pouvons que saluer à notre tour le travail admirable des magistrats administratifs en matière fiscale ; ordre de juridiction que nous connaissons assez bien pour y avoir été formé pendant six mois (CAA de Paris, 9e chambre, en 2011).

Sur un tout autre plan, peut-être serons-nous amené, un jour, à publier un article sur le bon usage (réservé aux professionnels) de l’article L. 76 B du LPF et peut-être encore plus indiqué ici : d’acquérir un guide permettant aux Avocats de convaincre leur client d’interjeter appel d’un jugement qui leur est défavorable.

Dans un jugement n°1920492 rendu le 6 juillet 2022 en faveur de nos clients M. et Mme B. concernant l’impôt sur le revenu au titre de l’année 2012, le tribunal administratif de Paris confirme une jurisprudence constante du Conseil d’Etat(*) qui concerne la possibilité pour l’administration de modifier en cours d’instance devant le tribunal la base légale d’un redressement fiscal initialement notifié sur la base d’un fondement pouvant être analysé comme fragile. En pratique, l’administration analyse en cours de contentieux devant le juge qu’elle a eu tort de notifier le redressement fiscal initial sur la base de l’article X du code général des impôts et décide de remplacer cet article de loi par un article Y en procédant à un nouvel argumentaire factuel et juridique.

De manière générale, cette substitution de base légale en cours de contentieux fiscal ne peut être régulièrement admise que lorsqu’elle n’a pas pour effet de priver les contribuables de garanties procédurales.

Le tribunal rappelle dans son jugement que « dans le cas où l’administration a utilisé des documents ou des renseignements obtenus de tiers pour fonder le redressement au titre de la nouvelle base légale dont elle se prévaut au cours de la procédure contentieuse, il lui appartient, lors de l’instance devant le juge saisi pour la première fois de la demande de substitution de base légale ou, le cas échéant, lors de l’instance d’appel, et au cas où cette obligation n’aurait pas déjà été satisfaite au cours de la procédure d’imposition, d’informer le contribuable, avec une précision suffisante, de l’origine et de la teneur de ces documents ou de ces renseignements, dans des délais permettant à l’intéressé d’en demander, le cas échéant, la communication et le mettant à même, après celle-ci, de présenter utilement ses observations avant la clôture de l’instruction. »

Alors que dans un mémoire en réplique, l’Avocat des requérants Me VAUTRIN avait sollicité au nom et pour le compte de ses clients, la communication des renseignements et documents obtenus de tiers et qui fondent l’imposition en litige, l’administration n’a pas satisfait à cette demande en cours d’instance. Il en résulte que la substitution de base légale réclamée par l’administration a pour effet de priver les contribuables d’une garantie de procédure. Cette substitution de base légale ne peut donc être admise et le tribunal prononce la décharge des impositions restant en litige.

(*) En référence, notamment : CE 23 avril 2008 n° 271853, 9e et 10e s.-s., « SA Kraft Foods France ».